Par Rébecca Assoun et Shirli Sitbon
publié dans le numéro d'octobre-novembre 2005
photos de Robert Sitbon
Le vin israélien a fait son entrée sur la carte du monde de la haute gastronomie. Réintroduit dans la région il y a un siècle par la famille Rothschild, il suscite depuis une vingtaine d’années l’intérêt des amateurs qui le qualifient désormais « d’étoile montante » de la scène mondiale du vin.
Sur les hauteurs de la Galilée et du Golan jusqu’aux profondeurs du désert, le vignoble israélien progresse. Réintroduit dans la région à la fin du 19e siècle par la famille Rothschild, le vin fait pourtant partie du paysage depuis longtemps. C’est une tradition de plusieurs milliers d'années.
Trois mille ans avant Jésus-Christ, les habitants de cette région produisaient déjà du vin et 1500 ans avant notre ère ils en faisaient déjà le commerce. D’ailleurs les vestiges de ce passé sont toujours là, aux côtés des nouveaux vignobles d’aujourd’hui. Dans le désert de Judée, près de la mer morte, d’anciens pressoirs, fouloirs et caves sont ouverts aux amateurs venus parcourir la route des vins.
“ Le vin de cette région fait partie des fondateurs ” confirme Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde “ La culture du vin a commencé dans le Caucase, en Mésopotamie, Egypte, Grèce et Gaule ”.
Deux mille ans plus tard, à la fin du 19ème siècle, lorsque les juifs d’Europe commencent à se réinstaller en Palestine, à l’époque sous contrôle Ottoman, c’est le début de l’ère moderne de l’industrie du vin en Israël. Le Baron Edmond de Rothschild, copropriétaire en France de Château-lafite, en est le premier instigateur.
En 1886 il fait planter des vignes sur le Mont Carmel qui longe la côte. Un petit village établi au cœur de l’exploitation, à 20km au sud de Haïfa, prend le nom du père d’Edmond de Rothschild, James Jacob de Rothschild. Le village s’appelle Zihron Yaakov, ‘En la mémoire de Jacob’.
C’est sur ces terres bordant la Méditerranée, sans pluie entre les mois d’avril et d’octobre, que le Baron de Rothschild fait planter des cépages bordelais rouges, estimant qu’ils sont les seuls à pouvoir supporter le soleil de plomb qui domine la région. Ce choix est encore largement suivi par les producteurs d’aujourd’hui. Le cabernet sauvignon domine largement même si d’autres cépages, principalement le merlot, le chardonnay, le sauvignon et plus récemment le syrah ont été introduit avec succès dans la région.
La petite exploitation de Rothschild devient la société coopérative Carmel et s’étend au fil des ans dans le centre du pays, dans les régions de la Samarie et du Samson. Aujourd’hui leader du marché, Carmel produit 80% du vin israélien avec ses deux principaux concurrents, Golan et Barkan.
La qualité du vin produit par Rothschild à la fin du 19e siècle est bien meilleure que celle des anciens vins de la région, mais les producteurs ont encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre le niveau européen. Le principal obstacle à franchir est le climat très chaud qui ne semble pas convenir à la production de vins de grande qualité.
Il a fallu attendre un siècle pour que des solutions techniques soient trouvées, ceci grâce à l’arrivée de businessmen producteurs inspirés par le succès des vins du nouveau monde.
Golan et Galilée : terres accueillantes du nord
La culture du vin en Israël a connu sa grande révolution il y a une trentaine d’années.
Les raisons de ce changement sont les nouvelles techniques adaptées aux climats chauds et à un déplacement en altitude vers la fraîcheur du Golan et de la Haute Galilée où les derniers vignobles se trouvent respectivement à une hauteur de 1200m et de 800m.
Le Golan et la Galilée, dans le nord d’Israël, sont des terres riches, volcaniques, basaltiques et rocailleuses. Elles sont considérées comme “naturelles ” pour les vignes. De nouveaux domaines y sont créés, Golan Heights, Barkan et Tishbi. Ces terres sont arrosées par les neiges fondues du mont Hermon, qui surplombe la région. Au côté des vignes, les producteurs plantent souvent des oliviers.
“ Ici, on profite du soleil qui permet un bon mûrissement du fruit et, en même temps, l’altitude nous assure des températures fraîches la nuit. ” explique Alex Haroni, un producteur installé depuis 10 ans en Haute Galilée, propriétaire de la maison Dalton. “ Cette fraîcheur est essentielle parce qu’elle bloque le processus de maturation. Ainsi les raisins sont bien mûrs mais ne brûlent pas ”.
Grâce à ce mûrissement du fruit, les vins israéliens sont riches en couleur et ont un beau corps.
Philippe Faure-Brac décrit un cabernet sauvignon de Galilée âgé de cinq ans dans son dernier ouvrage, ‘vins et mets du monde’ : « La robe grenat lumineuse est moyennement soutenue ; le nez exprime, classiquement des arômes de fruits noirs – mûres, cassis – et une touche végétale de poivron ; la bouche plutôt tendre, témoigne d’un vin bien structuré, d’intensité et de longueur moyennes. Avec ce vin fin, il s’agit de privilégier l’élégance du cépage ». Le sommelier préconise une association du cabernet avec de petits pâtés à la viande, du carpaccio de bœuf, du poulet rôti, du gigot ou encore avec de la mimolette.
“Au final, la chaleur est excellente. ” estime Alex Haroni “La canicule qui a frappé a France en 2003 a eu un excellent effet sur le vin et en Israël, tous les étés sont des étés de canicule. ”
La chaleur n’a pas que des avantages. Si les vignerons ne prennent pas toutes les précautions nécessaires, elle peut favoriser une fermentation alcoolique excessive. Le vin serait alors déséquilibré. C’est l’un des risques des climats chauds, lorsque le raisin est riche en sucre. « Il faut tout faire pour maintenir la fraîcheur et la délicatesse des arômes.» explique Alex Haroni
L’esprit du nouveau monde et les critères de qualité de l’Europe
En Israël, les producteurs profitent d’une météo extrêmement stable d’une année sur l’autre. Il ne pleut pas entre les mois d’avril et d’octobre. Les risques sont donc peu nombreux et les vignes peuvent être vendangées assez tard dans la saison. Ces vendanges tardives permettent aux raisins de mûrir davantage, pour que toutes les composantes de leur goût se développent pleinement.
La culture du vin de qualité est jeune en Israël et les producteurs tentent de combiner les techniques des deux mondes “ la philosophie du nouveau monde et les critères de qualité de l’Europe ”, selon la formule du domaine d’Ephrat.
Cette volonté de progresser est partagée par le public qui devient de plus en plus gourmet et qui encourage les producteurs dans leurs efforts. Les progrès dans la culture du vin sont accompagnés par le développement de la gastronomie locale, la multiplication des fromages et le succès des produits de qualité tel que les huiles d’olives.
Les méthodes de production des pays du ‘Nouveau monde’ permettent de résoudre les problèmes liés à la sécheresse et à la chaleur tout en profitant des bienfaits de l’ensoleillement. De nouveaux équipements importés des Etats Unis et de l’Europe sont installés à travers le pays. Désormais chaque facteur est soigneusement contrôlé, des champs jusqu’aux fûts d’élevage.
Arrosage au goutte-à-goutte
Les chercheurs agronomes israéliens apportent leur contribution à la révolution. Ils ont mis au point l’arrosage au goutte-à-goutte, une technique exportée dans le monde entier. Elle permet aux producteurs de contrôler le taux d’humidité de la terre. L’eau est acheminée dans tout le pays grâce à la conduite d’eau nationale, qui parcourt le pays du nord au sud.
L’arrosage au goutte-à-goutte favorise le développement des racines en surface. On peut dès lors sentir que la minéralité de ces vins est moins importante, et que le terroir a moins d’influence sur le goût. La personnalité du vin est développée davantage par l’élégance du fruit et par le climat. L’élément minéral restant accessoire, il est important pour les producteurs que la vinification soit au point en ce qui concerne les techniques, notamment pour l’élevage.
Les barriques de chêne sont importées des Etats-Unis et de France. Toutefois, pour le moment, la plupart des producteurs israéliens ne jouent pas trop sur le goût du bois et considèrent les fûts et les tonneaux comme de simples outils. " Notre seul objectif est de valoriser au maximum le fruit. Le goût du bois doit simplement souligner les arômes," disent les producteurs.
Cette conception commence à changer. Désormais, certains producteurs accentuent le goût du bois. C’est le cas par exemple du domaine de Zarit, en haute Galilée, où certains vins sont élevés pendant quatorze mois dans des barriques de chêne français. Parfois, l’effet est trop marqué et nuit à l’équilibre du vin.
Les techniques du nouveau monde permettent d’introduire de nouveaux cépages. Outre le cabernet sauvignon, chardonnay, cabernet franc, merlot, syrah, sémillon et sauvignon, les producteurs ont planté plus récemment dans les zones les plus fraîches du gewurztraminer et du riesling.
“ L’un des cépages les plus populaires en Israël est le riesling émeraude”, estime Amos Ravid, de la maison Carmel. “ C’est une variété assez exclusive, développée en Californie. C’est un croisement de riesling alsacien et de muscadet. On en fait des vins mi-secs extrêmement aromatiques, au bouquet floral et fruité ”.
Les connaisseurs apprécient les muscats moelleux.
Cependant, certains cépages conviennent mieux au climat israélien que d’autres. "Nous avons une grande expérience des cépages de petite syrah, carignan et cabernet sauvignon, chardonnay", dit Assaf Paz. “ Il est plus difficile d’obtenir le meilleur des gewurztraminer, riesling et pinot noir. ”
Un petit pays où sont cultivés vingt cépages différents
Israël est un petit pays en surface mais la gamme de terroirs est grande. Du nord au sud le climat varie et cela permet de cultiver une grande variété de cépages.
"Le pays est à peine plus grand que la région bordelaise, et pourtant, alors que dans cette magnifique région française on cultive jusqu’à neuf cépages, en Israël on en cultive une vingtaine". D’une région à l’autre, les vins ne se ressemblent pas.
"Goûtez un Merlot de 2 vignobles distants d’environs 5km, son goût n’est pas le même, il s’agit de 2 vins biens distincts. Le terroir est simplement différent dans ces 2 vignobles".
Comme le temps est identique d’une année sur l’autre, la différence entre les millésimes est minime. Il s’agit de légères nuances qui proviennent essentiellement de la floraison et du bourgeonnement plutôt que de la phase finale de mûrissement.
Les producteurs essaient par ailleurs de perpétuer certaines traditions en maintenant la production des cépages les plus anciens de la région, le Carignan, petite syrah et grenache.
Depuis quelques années, les assemblages de Cabernet Sauvignon, de Merlot et de Syrah recueillent de bonnes critiques des experts internationaux et reçoivent des prix (au Vinexpo à Bordeaux, International Wine and Spirit Competition à Londres et au BTI à Chicago). Ces vins sont désormais cités dans les guides gastronomiques (Pocket Wine Book, de Hugh Johnson ; L’Atlas du vin, de Jancis Robinson). Le vin israélien est décrit par Oz Clarke comme étant “une étoile montante du monde du vin ”.
Aujourd’hui Israël compte près de cent cinquante vignobles. Plus de 7500 hectares sont consacrés à la culture de la vigne et la production annuelle s’élève à 60 000 tonnes de raisins. Les principales régions vinicoles sont toujours la Samarie et le Samson, mais la vigne continue à gagner du terrain. Après le développement du Golan, de la Galilée et des collines aux alentours de Jérusalem, les producteurs sont désormais engagés dans une autre conquête, celle du désert du Néguev, qu’ils comptent bien faire verdir.
“ La fleur du désert ”
Dans le sud d’Israël, les vignobles du Néguev forment des bandes vertes impressionnantes en plein désert. On y trouve les vignes de Mitspé Ramon, entre Beersheba et la ville balnéaire d’Eilat, ou encore les domaines de Yatir et de Ramat Arad, concrétisation du rêve du Premier Ministre David Ben Gourion, l’un des fondateurs d'Israël : « faire fleurir le désert ».
Ces régions suscitent depuis quelques années l’intérêt croissant des producteurs qui y ont installé de nouveaux équipements. Ils y cultivent principalement des cépages bordelais rouges, du cabernet sauvignon, merlot et Syrah.
Planté avec de nouvelles vignes dans les collines du nord du Néguev, un endroit particulièrement sec, le Domaine de Ramat Arad produit des vins parmi les plus fins d’Israël.
Situé 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, la vigne est souvent enveloppée de brumes le matin. Les températures fraîches de la nuit protègent les raisins contre un soleil trop fort.
Dans le désert, le raisin est cultivé dans les secteurs les plus frais. La terre est extrêmement pauvre mais les conditions difficiles ne sont pas forcément un handicap. Au contraire, pour qu’un vin soit intéressant et bon, il faut que la vigne ait tendance à souffrir.
Dans le désert aride du Néguev, encore plus qu’ailleurs en Israël, l’agriculture n’est possible que grâce à l’irrigation. Les viticulteurs ont prouvé que le sol sableux convenait parfaitement aux vignes, comme il convenait à la culture de fruits et légumes. Mais si le vignoble israélien s’étend, et si la science fait des miracles, ils connaissent eux aussi des limites.
“ Il est vrai que nous cultivons des vignes dans le désert, mais on ne choisit pas les terres au hasard. On sélectionne les zones les plus élevées et fraîches.” explique Amos Ravid
Mais il faut l’admettre, certaines terres ne sont tout simplement pas adaptées à la culture du vin. Le soleil y frappe trop fort et les températures y sont trop élevées. Ainsi pour les producteurs passionnés, les limites et frontières sont palpables. Dans ce petit pays, la boucle semble bouclée. Le vignoble est désormais plus vaste que jamais et il a rejoint et dépassé son berceau d’origine. Les aventuriers de l’épopée du vin n’arrivent pas pour autant au bout de leur parcours. Loin de se contenter de leurs acquis, leur volonté est de se hisser au plus haut et de se rapprocher de leurs modèles.
L’œnologue Assaf Paz nous a confié que son rêve serait de voir le vin israélien sur les tables européennes et qu’il ne soit plus considéré comme un produit insolite ou exotique mais, comme du vin, tout simplement.