Tuesday, 13 November 2007

Musharraf le joueur sort ses carte


« Bhutto ne fait pas partie de l'opposition »

Mariam ABOU-ZAHAB, chercheur au CERI, Sciences-Po Paris, nous donne sa lecture des événements au Pakistan.


lundi 12 novembre 2007
Par Shirli Sitbon


Pervez Musharraf vient d’annoncer que des élections pourraient avoir lieu dès janvier, mais il a ajouté que l’état d’urgence sera maintenu. Des élections peuvent-elles être libres dans ces conditions ?

La situation évolue de jour en jour au Pakistan, personne ne peut dire aujourd’hui si les élections auront lieu ni dans quelles conditions. Ce qui est certain c’est qu’il est difficile d’organiser des élections sous l’état d’urgence.

Pour que des élections soient libres et crédibles, il est indispensable que tous les partis et candidats puissent faire campagne librement et se déplacer dans le pays. Ce n’est pas le cas actuellement. Il faut notamment que Nawaz Sharif puisse rentrer au Pakistan. Et par ailleurs, garantir la sécurité sur l’ensemble du territoire.

Quelles sont les forces en jeu?

Cette question n’a pas de réponse simple. La situation change continuellement. Les alliances ne sont pas encore faites.

Il faut savoir que contrairement aux idées reçues il n’y a pas de blocs politiques homogènes au Pakistan et les négociations sont en cours entre la plupart des partis, parfois dans la discrétion. Les partis religieux, les partis nationalistes pachtouns, le parti de Bhutto, les partisans de Musharraf notamment sont tous engagés dans différentes négociations pour d’éventuelles alliances.

Bhutto ne fait pas partie de l'opposition contrairement aux apparences. C’est une figure politique qui veut gouverner. Elle a, contrairement à d’autres, une liberté de mouvement complète.

Le spectacle que l’on voit depuis trois jours, est pour ainsi dire du cinéma car elle doit, tout comme Musharraf, sauver la face. Il faut comprendre que Bhutto ne peut obtenir une majorité absolue et qu’elle doit trouver des partenaires pour former une coalition.

De leurs côtés, les partis religieux démocratiques sont divisés. Certains sont engagés dans des négociations avec Bhutto et ne sont pas favorables à une révolte contre Musharraf.

Pour quelles raisons Musharraf a-t-il successivement décrété l’état d’urgence puis appelé à la tenue d’élections en janvier ?

Musharraf est un leader déjà impopulaire à cause de la situation dans le pays et des problèmes économiques auxquels font face les habitants.
Mais on peut dire qu’il s’est davantage affaibli depuis qu’il a décrété l’état d’urgence. Puisque Musharraf est joueur, il a sorti la carte des élections pour relancer l’échiquier. Mais d’autres rebondissements sont possibles. Nous sommes dans une période d’incertitude totale.

Musharraf sait que sa survie est assurée grâce au soutien américain. Les Etats-Unis ont certes critiqué l’état d’urgence mais leur position est ambigüe. Les différents responsables politiques ont soufflé le chaud et le froid dans cette affaire, le président Bush, le Congrès, Condoleezza Rice, le département d’Etat et d’anciens responsables ont émis des positions contradictoires. Musharraf sait que leur grande préoccupation est l’instauration de la sécurité et que leur souci du maintien des valeurs démocratiques n’est qu’une préoccupation de façade pour calfeutrer les failles du système Musharaf sur lequel ils comptent.


Comment la nation pakistanaise vit-elle cette période mouvementée, l’état d’urgence et la confrontation politique ?

La population n’est pas touchée par l’état d’urgence car ses problèmes sont plus profonds et immédiats : les difficultés de se nourrir, la hausse des prix, l’inflation, le chômage, l’insécurité, etc.

Les Pakistanais ne sont pas mobilisés pour descendre dans la rue et manifester. Ils sont en revanche lassés par les leaders politiques de tous bords qui n’apportent pas de solutions à leurs problèmes.

Mais contrairement à certaines idées reçues, les Pakistanais ne sont pas non plus prêts à s’engager sur le terrain de l’extrémisme religieux.

Les partis religieux démocratiques disposent d’une base électorale extrêmement faible et les islamistes militants de leur côté ne parviennent pas à attirer le soutien du peuple. Ils ne représentent pas de risque majeur aujourd’hui et la grande majorité des Pakistanais n’adhère pas à leur discours.

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